Le silence des pages lues Lundi, 20h17. La lumière du soir glisse sur les tomettes de mon appartement, teinte les murs de la couleur du miel et de la fatigue. Dehors, les bruits feutrés d'Aix-en-Provence montent à peine jusqu'à moi, une rumeur lointaine qui rend le silence encore plus dense. C’est dans ce calme que je me noie habituellement, une solitude choisie mais parfois si lourde. Sur la table, mon ordinateur portable projette une lueur bleutée sur mes mains. Quinze rapports. Une montagne de jargon corporate à escalader d'ici demain matin pour en extraire trois slides, l'essence d'une stratégie que tout le monde a déjà oubliée. D'ordinaire, la tâche m'aurait consumé la nuit, page après page, surligneur à la main, à la recherche du sens perdu entre deux tableaux Excel. Je clique sur le premier fichier. "Rapport_Q3_Performance_Analyse_V4_Final_DEF". Le titre seul est un somnifère. Je lis les premières lignes, mécaniquement. Les mots défilent, mais mon esprit est ailleurs, déjà las. Et puis, la sensation. Subtile d'abord, puis fulgurante. La même chaleur que ce matin pulse à ma tempe droite, mais plus intense, presque brûlante. Une pression sourde derrière mon œil. Je ferme les paupières une seconde, et quand je les rouvre, tout est là. Tout. Les quinze rapports. Je ne les ai pas lus, mais je les connais. Les chiffres clés, les conclusions saillantes, les redondances, les contradictions… tout s'agence dans mon esprit avec une clarté terrifiante, une architecture d'informations limpide et structurée. Les trois slides sont déjà prêtes dans ma tête, évidentes, parfaites. C'est comme si j'avais avalé les fichiers, digéré les données sans même les avoir parcourues. Mon souffle se coupe. Sur le coin de mon bureau, Pixel, ma panthère de salon, a cessé sa toilette. Il me fixe. Son regard d'or liquide n'est pas curieux, il est… inquiet. Sa queue noire balaie l'air, lente, nerveuse. Il ne me regarde pas moi, mais quelque chose autour de moi, une énergie invisible. La chaleur à ma tempe s'apaise, laissant une étrange rémanence, un bourdonnement. Comment est-ce possible ? Ce n'est pas de l'intuition, c'est autre chose. Une violation. Mon esprit vient de faire quelque chose que je ne lui ai jamais demandé. Synoptïa - carnet augmenté : page 2