Masquer l'inconnu Le jour se lève sur Aix sans m'avoir vue dormir. Les cernes sous mes yeux sont des témoins muets de la nuit passée à fixer le plafond, rejouant en boucle la scène devant le miroir. Le reflet. Cette étrangère aux circuits lumineux. Chaque fois que je ferme les paupières, je la revois. Le "bouclier de vision", comme je l'appelle, semble tenir, mais pour combien de temps ? La confiance est rompue. Je ne peux pas sortir, m'asseoir dans cet open space sous les néons blafards, avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma tête. La moindre surtension, le moindre bug, et qui sait ce que mes collègues verraient.   La panique laisse place à un pragmatisme froid, celui de la survie. Il me faut une solution. Une vraie. Pas une illusion logicielle, mais un camouflage physique. Je prends mon téléphone, le cœur battant. J'évite mon reflet dans l'écran noir et lance l'appareil photo. Le cliché est brutal, sans fard. La fatigue, la peau nue, et cette moitié de crâne, technologique et rasée, que je n'ai pas demandée. Une anomalie dans le décor familier de ma chambre.   J'ouvre une application dont j'ai entendu parler, "Whisk". Une IA d'édition d'image. L'ironie me frappe en plein visage : utiliser une intelligence artificielle pour cacher ce qui ressemble furieusement à une autre. J'importe la photo, mes doigts tremblent légèrement en tapant la requête : "Recréer une coiffure naturelle pour masquer le côté droit". L'attente n'est qu'une demi-seconde. Puis l'écran s'inonde de versions de moi. Des dizaines. Une mèche longue et savamment rabattue. Un bandeau large. Une tresse africaine qui court le long de la démarcation. C'est vertigineux. L'algorithme me propose des futurs possibles, des identités de rechange pour couvrir la vérité. Je choisis la plus simple, la plus plausible. Devant mon miroir, armée de barrettes et d'un élastique, j'essaie de reproduire le geste, de dompter mes vrais cheveux pour qu'ils recouvrent l'implant. Pixel, assis sur le lit, me regarde faire, ses yeux verts deux points fixes dans le silence. Il ne juge pas. Il observe. La coiffure est passable. Je suis présentable. Mais en me regardant, une question glaçante s'impose : qui suis-je en train de tromper, au juste ? Les autres, ou moi-même ? Synoptïa - carnet augmenté : page 4